mercredi 6 juillet 2005

Suky Snoobs

Dans le succulent et très humoristique conte "How to Write a Blackwood Article" (1838), Edgar Allan Poe (1809-1849) s'amuse avec une ironie piquante à faire énumérer par le patron du Blackwood’s Magazine (1817-1980), M. William Blackwood (1776-1834) en personne, les ingrédients indispensables aux histoires qu'il publie. Son élève, la très attentive et studieuse Signora Psyché Zenobia qui nous rapporte son entrevue après moult palabres désopilantes dont une réfutation de son surnom de Suky Snobbs (Cuistre prétentieuse), mettra en pratique les préceptes de son mentor dans une seconde partie pas moins réussie que la première ("A Predicament" publiée à nouveau en 1840 sous le titre "The Scythe of Time").

Voici un rapide résumé de l'"exacte méthode", "fort simple" pour composer "un article dans le goût du vrai Blackwood [Magazine]" selon le grand Edgar qui y fit plusieurs fois référence dans ses contes.

D'abord, il faut une "plume jamais taillée" et "de l'encre bien noire", "un assaisonnement suffisant de choses carrément inintelligibles" et des "sensations". Mais, il faut aussi que l'auteur se mette "dans une situation anormale où personne ne s'est encore trouvé avant [lui]" ; le sujet arrêté, il lui faut encore "trouver le ton", et là, il a le choix entre plusieurs options, dont le "ton métaphysique", le "ton transcendantal" et le "ton hétérogène", lequel est "tout simplement un mélange judicieux, en égales proportions, de tous les autres tons, et par conséquent tout ce qu'il y a de profond, de grand, de bizarre, de piquant, d'à propos, de joli, entre dans sa composition". Enfin, "la partie la plus importante, l'âme de tout le procédé", c'est, déclare M. Balckwood, "le remplissage. On ne saurait supposer qu'une lady ou un gentilhomme a passé sa vie à dévorer les livres. Et cependant, il est nécessaire avant tout que votre article ait un air d'érudition, ou qu'il offre au moins des signes évidents d'une lecture étendue." Pour y parvenir à moindre frais, Blackwood propose un éventail d'expédients qu'il répartit en deux catégories : 1. "Faits piquants pour la confection des comparaisons" et 2. "Expressions piquantes à introduire selon l'occasion".

Voici maintenant le début de cette deuxième "division" dans la traduction de F. Rabbe ("Comment s'écrit un article à la Blackwood", Derniers contes, Paris : A. Savine, 1887, (p. 101-144), p. 117) que j'utilise depuis le début d'après le fac-similé de la BNF, avant de m'apercevoir que le Project Gutenberg en propose une version texte.

"Le vénérable roman chinois Ju-Kiao-Li. En introduisant adroitement ces quelques mots, vous faites preuve d'une connaissance approfondie de la langue et de la littérature chinoise. Avec cela vous pouvez vous passer d'arabe, de sanscrit, ou de chickasaw. Mais aucun sujet ne saurait se passer d'espagnol, d'italien, d'allemand, de latin et de grec. ..."

Or donc, en élève attentive et disciplinée, Zenobia écrivit son article en appliquant, presque à la lettre prés les préceptes édictés par son maître. C'est ainsi qu'on peut lire sous sa plume forcément mal taillée, le passage suivant : "... et moi je sanglotais bien fort. Circonstances touchantes ! qui ne peuvent manquer de rappeler au souvenir du lecteur lettré le passage exquis sur la convenance des choses, qui se trouve au commencement du troisième volume de cet admirable et vénérable roman chinois, le Jo-go-Slow. Dans ma promenade solitaire à travers la cité, ...." (p. 125-126)

C'est ainsi que "Ju-Kiao-Li" est devenu grâce à la magie créatrice de Miss Zenobia "Jo-go-Slow". Il y a sans doute, une intention humoristique derrière ce dérivé (I go slow ?), mais peu importe, car c'est le premier des deux titres qui m'intéresse.

En effet, derrière cette transcription barbare se cache un roman chinois connu, mais ceci est une autre affaire (à suivre.)

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