samedi 29 octobre 2005

Operae pretium

J'ai trouvé chez Burton (Robert) dans “Démocrite Junior à son lecteur” (p. 77), long prélude (80 pages) à son excellent opus déjà cité le passage suivant :

Qui peut les lire tous ? Car désormais nous voilà devant un amas, un chaos de livres ; nous en sommes oppressés, les yeux brûlés de lire les pages, les doigts de les tourner.

Plus loin (p. 80), il écrit :

Lecteur, tu ne peux pas avoir de moi une plus piètre idée que moi-même. Rien ici ne vaut la peine d’être lu, j’y consens, je te prie de ne pas perdre ton temps à te pencher sur un si vain sujet. Je serais moi-même tout aussi réticent à lire un tel écrivain, toi ou un autre, ce n’est pas operae pretium - cela n’en vaut pas la peine.

Evidemment, il ne faut surtout pas le prendre au pied de la lettre ; sa longue mise en garde est un régal d’humour et de pertinence, à lire et à relire.
Reste tout de même à mettre sur pied une stratégie pour ne plus lire n’importe quoi - ceci dit, en ne lisant que des auteurs morts et enterrés depuis des lustres, je risque beaucoup moins que ceux qui incluent dans leur tableau de chasse les contemporains.
Voici deux pistes à explorer.

Si l’on en croit ce qu’écrit Antoine Compagnon (Le démon de la théorie, 1998), dans “L’angoisse de lire” (article du Magazine littéraire n° 400 (2001), p. 18-19, repris dans le numéro hors-série, “Les écrivains et la mélancolie” des “Collections du ML”, n° 8 (oct-nov 2005), p. 22-23) :

Il y a deux sortes de livres, les livres dont vous sortez changé pour toujours et les autres. Un livre qui vous laisse tel quel n’est pas un livre qui valait la peine.


N’est-ce pas là un excellent critère de sélection ? Dommage qu’il arrive un peu tard, car on n'est enfin éclairé sur la nature du livre en question que lorsqu’on l’a achevé.

Par contre, un peu plus haut dans la même section de l’article (‘Contre la lecture facile’), s’en dessine un autre plus efficace, car il permet d’interrompre le processus en cours de route, et donc perdre moins de temps :

Pour ne rien dire du début de la lecture, tout aussi dérangeant, pendant des pages et des pages - trente, soixante, cent -, avant que je ne repère, que je ne trouve mes marques, que je ne me sente chez moi dans le monde du roman. Un livre dans lequel on entre comme dans du beurre, c’est probablement un livre qui ne vaut pas la peine.

Bien entendu rien n’empêche de lire de temps en temps quelque nullité confirmée, voire même d’en traduire ! : il y a toujours quelque chose à en tirer (un délassement, un compte-rendu critique, des exemples à ne pas suivre, l’occasion de pester, des blagues à conter, ou des sous à compter).

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