vendredi 24 mars 2006

Mea culpa

Pour inaugurer cette nouvelle rubrique, je vais m’attacher - plutôt qu’à énoncer une profession de foi et des objectifs datés -, à dénoncer une petite erreur, une infime bévue qui s’est glissée dans un texte consacré justement à Li Yu 李漁.

Le mal n’est pas bien grand et, qui plus est, limité à la version française d’un des sous-chapitres du chapitre 15 de l’encyclopédie en ligne China ABC [Zhongguo baike 中国百科] sous site du sous site français du mega site web de la C[hina] R[adio] I[nternational] Online [Zhongguo Guoji Guangbo Diantai 中国国际广播电台].

Or donc, on trouve sur cette page, agrémentée du cliché représentant la statut de Li Yu qui trône au Jieziyuan 芥子園 - sorte de Musée dédié à Li Yu construit à Lanxi 蘭溪 (près de Jinhua 金華 au Zhejiang 浙江) -, une courte biographie intitulée “Li Yu, auteur dramatique chinois du 17e siècle”.

Celle-ci reprend les faits les plus connus et les plus souvent imaginés concernant Li Yu. Il insiste sur l’originalité du parcours de cet auteur dramatique qui en plus d’avoir composé “une grande quantité de pièces de théâtre, a également formé une troupe pour les interpréter”. Il rappelle qu’il fut “metteur en scène”, et qu’il “s’est également fait remarquer comme écrivain.”

On peut ainsi citer « A mari jaloux, femme fidèle », « le Pavillon des jades » ou son roman le plus célèbre « De la chair à l’extase ». En puisant son inspiration dans ses propres expériences et connaissances, Li Yu a exploité un certain espace de création que seul un caractère individualiste prononcé pouvait développer. Dans ses romans, l’utilisation le plus souvent de la critique inversée était en fait un moyen de s’opposer à certaines idées traditionnelles.

Ce n’est pas le concept de “critique inversée” qui m’a le plus fait sourire, mais le choix des titres retenus pour évoquer l’œuvre romanesque de Li Yu. Passe encore qu’on y retrouve les titres des traductions parues chez Picquier, savoir A mari jaloux, femme fidèle pour rappeler les Wushengxi 無聲戲 et De la chair à l’extase pour Rouputuan 肉蒲團, mais là où cela déraille, c’est lorsque le rédacteur en vient à évoquer Shi’er lou 十二樓 qui ne peut naturellement pas donner Le Pavillon des jades !

Un coup d’œil sur certaines des quarante autres versions [savoir l’anglaise, la japonaise, la mongole, l’arabe, la coréenne, la vietnamienne, la tchèque, l’italienne, la polonaise et l’allemande, sans oublier la version en espéranto et une autre dont je vous laisse deviner l’origine] montre que l’on a, à chaque fois, affaire à une variation plus ou moins libre réalisée à partir d’un même texte en chinois qui n’est pas celui proposé en caractères simplifiés, ni même celui en caractères non simplifiés.

Qu’elle que soit sa source, chaque traducteur s’est trouvé confronté à des titres qu’il a choisi de traiter à sa manière : contourner la difficulté en sautant le passage, retenir la facilité en les transcrivant en pinyin, sans remettre au chinois en les utilisant tel quel comme dans le cas du japonais ou encore, effort notable, en faisant œuvre créatrice en les traduisant, ou, ... simplement, en en donnant l’illusion.

Gageons que notre traducteur francophone - lequel ne se débrouille pas si mal que cela -, a dû hésiter un moment avant de se résoudre à emprunter des titres déjà utilisés à un catalogue d’éditeur ou un site web.

C’est ainsi que pour Shi’er lou, à la place de Douze pavillons [traduction pas forcément idéale, mais pratique et parlante], nous n’en avons plus qu’un seul en jade !

Ceci dit en passant, Le Pavillon des jades, traduction de Bi Yu Lou 碧玉樓 ne figure pas au catalogue Picquier en ligne nouvellement ouvert et accessible > ici < , pas plus que dans le dernier catalogue papier de l’éditeur ! Son avenir est sans aucun doute compromis. Ce n’est, fort heureusement, pas le cas des Carnets secrets qu’évoque notre traducteur inconnu sous le titre piquant suivant : « Lettres des humeurs ».

vendredi 3 mars 2006

Déprimant ?

Quelque peu confus d’avoir à présenter un ouvrage à la moralité douteuse et au style pour le moins sommaire, mais dont les défauts eux-mêmes étaient révélateurs d’un style d’écriture à visée purement commerciale, j’ai usé dans l’introduction des Galantes chroniques de renardes enjôleuses, traduction du Yaohu yanshi, roman à l’érotisme torride, de l’image du «gâteau cent fois bon» dont, ai-je écrit, “la lecture ne devrait pourtant pas être trop indigeste à qui sait mastiquer ou dispose d’un solide estomac.” [Picquier, 2005, p. 16]
Un astérisque placé juste après le mot “gâteau” invite tout naturellement le lecteur à consulter le répertoire à la page 142, où il peut lire :

Ce «gâteau cent fois bon» est celui confectionné par un chien et un chat dans le conte pour enfant imaginé par le peintre et écrivain tchèque Josef Capek (1887-1945). On en trouve de nombreuses adaptations dans toutes les langues dont celle des « Albums du Père Castor » (Un gâteau cent fois bon, traduit par L. Hirsch, Paris, Flammarion). Il fait bien comprendre que l’accumulation d’ingrédients a pour effet de produire un ensemble indigeste, impropre à la consommation.

En fait, au départ - c’est à dire voici plus de dix-huit mois, car ces Chroniques sont restées en attente pendant un an et demi avant d’être finalement publiées ! -, la notice était un peu plus longue, sans doute trop longue ... tout est affaire de jugement. La voici dans sa totalité, discursive à souhait, boursouflée comme je les aime :

Ce «gâteau cent fois bon» est celui confectionné par un chien et un chat selon une recette fort simple : « Tu mets dans ton gâteau tout ce qu’il y a de meilleur à manger et, quand tu as mis tout ce qu’il y a de meilleur, eh bien, le gâteau est le meilleur des gâteaux ! Si, par exemple, tu prends cinq des meilleures choses, ton gâteau est cinq fois bon. Si tu en mets dix, ton gâteau est dix fois bon. Nous, nous mettrons les cent meilleures choses, et nous aurons un gâteau cent fois bon. » Le problème, c’est qu’emportés par le mouvement, les deux pâtissiers amateurs dépassent la mesure et confectionnent le gâteau le plus indigeste du monde. Fort heureusement pour eux, un méchant chien le leur chaparde. Ce conte pour enfant a été imaginé par le peintre et écrivain tchèque Josef Capek (1887-1945). On en trouve de nombreuses adaptations dans toutes les langues. Celle que nous venons de citer figure dans les “Albums du Père Castor” (Un gâteau cent fois bon, traduit par L. Hirsch, Paris, Flammarion). Josef Capek est plus connu dans le monde des lettres pour ses essais sur l’art, son recueil de méditations en prose (Pèlerin boiteux, 1936), ses Poèmes du camp de concentration (1946) et les ouvrages qu’il écrivit en compagnie de son frère Karel Capek (1890-1938) « figure emblématique de l’intellectuel de la première République tchécoslovaque » (A. Maréchal) à qui on attribue généralement l’invention du mot « robot » (R.U.R., Rossum’s Universal Robots, 1920) qui reviendrait en fait à son frère aîné.

A la réflexion, ce gentil fatras n’est éloigné qu’en apparence des renardes qui hantent l’imaginaire chinois et donnent une tonalité si particulière à ce petit roman qui serait sans nulle doute resté inédit en traduction sans l'amicale insistance de Jacques Cotin -- du reste, qu’y a-t-il de si incongru à inciter les plus curieux à découvrir des auteurs fort prisés dans leur pays - les frères Capek [prononcez ‘tchapek’] - et à inviter à explorer les relations existant entre le sujet de départ - les créatures fantasmagoriques des Chinois d’antan - et les robots des Occidentaux d’aujourd’hui ?

Il n’y a pas à creuser longtemps pour s’apercevoir que les belles androïdes des fictions modernes ne sont pas si différentes de ces créatures de l’entre-deux qui peuvent se révéler tantôt nuisibles, tantôt bienfaisantes ou passionnément amoureuses. Sans aller chercher très loin, il n’est que d’évoquer les créatures imaginées par Philip K. Dick - mort un 2 mars voici très exactement 24 ans et un jour - dans notamment Do Androids Dream of Electric Sheep ?, librement mis en images par Ridley Scott dans Blade Runner (1982).

La version la plus élaborée de ces créatures sorties de l’imagination masculine rappelle toujours par certains côtés la fausse Maria du Metropolis (1927) de Fritz Lang (1890-1976). Elle, ou il (?), est le spécimen le plus ancien qui figure dans le Top 50 des Robots établi par le magazine Wired (Issue 14.01) ; elle n’y figure qu’à la 26e place. Mon préféré de la liste, HAL 9000, traîne, pour sa part, à la 47e place avec ce commentaire :

Some tasks are too important to be left to humans. Just ask Hal 9000 from 2001: A Space Odyssey. The 1968 [Stanley Kubrick’ s] film gave the world the ultimate all seeing, all knowing - and apparently all ego - A[rtificial].I[ntelligence] villain. It set the standard for machines that can think (and kill) like us but are too powerful to control.

Quant à la charmante Actroid-DER [et ses camarades que l’on peut voir sur le site japonais Kokoro-dreams (!)], androïde femelle développée pour assurer des fonctions d'accueil du public, actuellement opérationnelle en japonais, chinois, coréen et en anglais, et présentée à l’Exposition Internationale de 2005 à Aichi au Japon, elle ne figure pas au palmarès, tout comme la plupart des meilleures réalisations dans ce domaine qu’on peut découvrir sur Android World.

Mais tout ceci n’est-il pas un peu “déprimant“ comme le dirait sûrement l’attendrissant Marvin, l’androïde paranoïaque et dépressif inventé par Douglas Adams (11 mars 1952-11 mai 2001) pour The Hitchhiker's Guide to the Galaxy.

N’est-il pas tout simplement mignon ? [voir l'illustration ci-dessus]