vendredi 20 avril 2007

Sunzi online

Il y a peu et ailleurs, je notais que le Sunzi bingfa 孫子兵法 était l'ouvrage chinois accessible sur le Projet Gutenberg le plus souvent téléchargé dans sa version anglaise. On peut retrouver la même traduction, savoir celle de Lionel Giles (1875-1958), ici, , et encore . C'est, du reste, loin d'être la seule à permettre aux lecteurs anglophones de découvrir ce texte. Il suffit d'aller voir ici, , encore , pour des versions annoncées "complètes".

Pour le texte chinois, on a bien entendu un choix encore plus grand : mais on peut privilégier la version de Zhongwen.com qui présente l'avantage de proposer en regard du texte établi à partir d'une édition dûment signalée, un dictionnaire et des liens vers d'autres outils linguistiques de qualité dont le Guoyu cidian 國語辭典 (Edition de 1998) [on lui préférera quand même la dernière version en ligne]. Certains sites, comme ce dernier, combinent texte et traduction anglaise. C'est encore celle de L. Giles qui revient le plus souvent.

A côté de cette pléthore, la traduction espagnole, consultable ici, fait figure de pauvre orpheline : je n'ai pas trouvé de traduction française disponible sur le net. Même celle du père Amiot (1772), pourtant libre de droit, n'a pas été mise à disposition des internautes francophone *. Elle reste néanmoins facilement accessible grâce aux Editions Mille et une nuits (L'art de la guerre, n° 122, 1996). On ne devrait peut-être pas s'en réjouir tant elle est "personnelle". Il faut donc passer par le livre, et celui de Jean Lévi - mon livre du moment - est, bien entendu, tout indiqué : Sun Tzu, L'art de la guerre. Traduit du chinois et commenté par Jean Lévi. Paris : Hachette ["Littératures" (2000) ou "Pluriel" (2004)]. [En illustration, Sunzi par Qicartoon]

Mais retournons en ligne. Certains sites ratissent plus large que ceux déjà cités en fournissant des grappes de liens vers toutes sortes de domaines d'application du Sunzi bingfa, voir notamment ici : beaucoup de liens veufs au rendez-vous, ce qui, in fine, dispense de faire des détours improductifs.

Le curieux pressé gagnera donc beaucoup de temps en se rendant directement sur Sonshi.com qui se présente comme "The Largest Website for Sun Tzu's Art of War" "supported by over 40 major Art of War authors and scholars". Il propose, outre une foule de documents, sa propre traduction :

"Sonshi.com's Sun Tzu "The Art of War" took over a year to complete. Countless hours were required to meticulously translate each individual character from the original Chinese text, cross referenced with more than six major English editions."

Ce site spécialisé permet aussi de prendre la mesure de l'impact que Sunzi, son texte et ses commentaires ont aujourd'hui dans des domaines, et sur des personnes très éloignés de leur lieu et époque d'origine (voir notamment ici !) en consultant les "Sonshi articles" . Ce sont pour la plupart des interviews de personnalités ayant contribué à mieux faire connaître et apprécié Sunzi et la stratégie chinoise. Parmi eux, on trouve celui de John Minford qu'introduit cette phrase :

Just when we thought a new Sun Tzu "The Art of War" translation is not needed, retired Professor John M. Minford's masterful work proved us wrong.

Je ne retiens qu'un court passage de cet entretien fort instructif :

Sonshi.com : You researched Father Amiot's book -- the first Western translation of The Art of War. Outstanding! What did you think about his translation and why did you decide to research it? In general, do the French read The Art of War as much as the Americans?

Minford : I was interested in Father Amiot as one of the early Jesuits in China. (The Jesuits, and their unique role in transmitting Chinese culture to the West, have long been one of my interests. I am currently working as a Story Consultant for a big Italian movie project about the early Jesuit Matteo Ricci, being produced by Mario Cotone, who did The Last Emperor and Godfather 2.) Father Amiot's version of The Art of War is more of a re-write, and is itself based on a no longer extant Manchu version (complete with running commentary), probably created in the late 17th century for the Manchu ruling class in China. (As conquerors, the Manchus needed to understand how the Chinese thought-for very practical reasons!) Amiot (who knew that his book would be read by the French Minister in charge of Foreign Relations) goes straight to the heart of the meaning of the text, and does not scruple to find fault with Sunzi's thinking where necessary. He was after all a Christian missionary! There is also a recent French translation (which I mention in my book) by Jean Lévi, which is excellent, very strong on commentary and philosophical interpretation. He relies heavily on the thinking of Francois Jullien, one of France's leading sinologists. Yes, the French are very interested in this book. There are several versions available in paperback.

Sonshi.com qualifie la traduction de Minford d'"extremely concise yet complete", et la juge "truer to the original Chinese format than all previously published Sun Tzu versions." Elle existe en plusieurs formats : Sun Tzu, The Art of War. The Essential Translation of the Classic Book of Life. Translated with an Introduction and Commentary by John Minford. New York - London : Viking, 2002, 384 pages (réédition Penguin classics, 2003, Penguin Books, 2006). Depuis 2004, elle est également accessible en format audio, lu par l'actrice américaine Lorna Raver, notamment sur le portail de vente iTunes (Blackstone Audiobooks) : on peut s'en faire une idée en écoutant 1 minute 30 des 9 h 32 minutes de cette réalisation qui ouvre la voie pour un nouveau type de diffusion des travaux sinologiques. Combien de temps faudra-t-il attendre pour pouvoir disposer du dernier François Jullien en MP3 ?

Pour ceux qui n'auraient pas le goût de l'écoute, je propose pour achever ce billet un peu décousu sur un sujet qui m'échappe, une formation accélérée au Sunzi grâce (entre autres sources possibles) à Youtube. Ce film d'animation de 3 mn 32 est "based on the adaptation by the comic master Tsai Chih Chung [蔡志忠], this book serves as the highlight of the Multimedia Book series." Attention, c'est parti !.... enfin, n'oubliez pas de cliquer sur l'écran ci-dessous !


* Complément du 21/04/07.

Je tiens à corriger une erreur : la traduction du père Amiot a été mise en ligne par Pierre Palpant, ici. Il s'agit d' "une édition électronique de “L’art de la guerre”, réalisée à partir de SUN TSE et les anciens Chinois OU TSE et SE MA FA. (Ve au IIIe siècles avant J.-C.). Textes traduits par le P. Amiot, présentés et annotés par Lucien NACHIN (1885-1952). Paris : Collection "Les Classiques de l’art militaire", Éditions Berger-Levrault, 1948, XIX+184 pages.
Mille excuses et bonne lecture !....

mercredi 18 avril 2007

Errare humanum est

Il est toujours cruel de relever les erreurs de traduction des autres quand on les croise, même si c'est, il faut l'avouer, aussi salutaire pour le lecteur de base qui découvre des reliefs inattendus à un rendu qu'il sait dorénavant perfectible, que pour le traducteur novice qui pourrait en tirer des enseignements pour ses prochains travaux. On peut, me semble-t-il, se laisser aller à cette perfidie lorsque le texte fautif prête à sourire et, qui plus est, a été publié voici quelque 80 ans !

L'erreur que je me risque à dévoiler ici - ce n'est pas la seule ici, encore moins dans l'ouvrage -, est d'autant plus piquante qu'elle intervient dans un passage où il est justement question de traduction, et que son auteur dénonce une trahison touchant un texte emblématique de la grande littérature chinoise.

Elle intervient dans un chapitre intitulé "Les lettres chinoises" qui est la version française de "Chinese Scholarship" une des six parties de The Spirit of the Chinese People ouvrage composé en 1914 et anglais par Gu Hongming 辜鴻銘 (1857-1928). Voici le passage en question, rigoureusement livré dans sa présentation d'origine :

Immédiatement après les travaux du Dr Legge, la récente traduction du Roi Nan-hua de ChuangTzu par M. Balfour est une oeuvre de la plus haute ambition. Nous avouons avoir éprouvé, lorsque pour la première fois nous entendîmes annoncer cet ouvrage, une impatience et un plaisir singulier. Le roi Nan-hua est considéré par les Chinois comme une des oeuvres les plus hautes de leur littérature nationale. Depuis sa publication, deux siècles avant l’ère chrétienne, son influence sur la littérature chinoise est à peine inférieure à l’oeuvre de Confucius et de ses écoles. Son influence sur la langue et l’esprit de la littérature poétique et imaginative des dynasties successives est presque aussi exclusive que celles des Quatre Livres et des Cinq Chinois sur les oeuvres philosophiques de la Chine. Mais l’ouvrage de M. Balfour n’est pas du tout une traduction. C’est tout simplement une trahison.

Le texte original est le suivant :

Next to Dr. Legge's labours, Mr. Balfour's recent translation of the Nan-hua King of Chuang-tzu is a work of certainly the highest ambition. We confess to have experienced, when we first heard the work announced, a degree of expectation and delight which the announcement of an Englishman entering the Hanlin College would scarcely have raised in us. The Nan-hua King is acknowledged by the Chinese to be one of the most perfect of the highest specimens of their national literature. Since its appearance two centuries before the Christian era, the influence of the book upon the literature of China is scarcely inferior to the works of Confucius and his schools; while its effect upon the language and spirit of the poetical and imaginative literature of succeeding dynasties is almost as exclusive as that of the Four Books and Five Chinese upon the philosophical works of China. But Mr. Balfour's work is not a translation at all; it is simply a mistranslation.

On le voit, la confusion qui nous vaut d'être gratifié d'un "Roi Nan-hua", est née de l'absence d'italiques dans la version de départ et du choix de la transcription du caractère (jing ) en King pour rendre lisible à des Occidentaux le titre alternatif de l'ouvrage attribué à Zhuangzi 莊子: Nanhuajing 南華經. Celui qui s'est rendu coupable de cette bévue est, finalement, plus à plaindre qu'à condamner. M. P. Rival (?) n'était, sans aucun doute, aucunement versé dans les arcanes de la civilisation chinoise, ce qu'on ne peut guère lui reprocher. Sa traduction - une commande de l'éditeur (Maurice Delamain et/ou Jacques Boutelleau (alias Jacques Chardonne), vraisemblablement -, parut en 1927, à Paris à la Librairie Stock sous le titre L'esprit du Peuple chinois. Le nom de l'auteur y est transcrit ainsi : Kou-Houng-Ming. Il figure dans la "Série Orange" en compagnie d'un Mahatma Gandhi de Romain Rolland (1866-1944), La jeune Inde de Gandhi (1869-1948), Le monde qui naît du Comte H. de Keyserling, L'éthique de Kropotkine (1842-1921) et Siloë de Gaston Roupnel (1871-1946).

Cette traduction de
L'esprit du peuple chinois a été rééditée aux Editions de l'Aube en 1996. Je ne sais pas si cette erreur a, ou non, été corrigée par l'éditeur. Pour ce qui est du traducteur mis en cause par Gu, il s'agit de Frederic Henry Balfour dont la traduction du Zhuangzi fut publiée en 1881 sous le titre The Divine Classic of Nan-Hua, Being the Works of Chuang Tsze, Taoist Philosopher, With an excursus, and copious annotations in English and Chinese by Frederic Henry Balfour (Shanghai - Hong Kong : Kelly and Walsh). Elle a été rééditée en facsimilé par Elibron Classics en 2004 (475 pages). GoogleBooks en offre également un aperçu. On peut se faire une idée plus complète des autres traductions de F. H. Balfour en consultant Taoist Texts, Ethical, Political and Speculative. Shanghai-London : Kelly & Walsh, 1884, à partir d'ici. Sur James Legge (1815-1897) voir ici. L'illustration est tirée d'un portrait de Gu par Liang Danmei 梁丹美(1934-), qu'on peut voir ici.