samedi 10 novembre 2007

Sans condition

En constatant que mon PiKaBlog n'avait pas bougé depuis le 29 août dernier et une perfide attaque contre les Editions Picquier, je me suis demandé comment tenter de réactiver cet espace délaissé trop souvent pour un autre (>>ici<<), sinon en vous - hypothétiques lecteurs - faisant profiter de lectures anciennes et de passages notés à la volée. Le hasard a fait que les deux premiers spécimens de cette sorte qui me soient tombées sous les yeux trouvent un écho intéressant avec les événements récents de l'actualité politique et universitaire. Je vous les livre tel quel :
I. ... « l'université moderne devrait être sans condition. Par « université moderne », entendons celle dont le modèle européen, après une histoire médiévale riche et complexe, est devenu prévalent, c'est-à-dire « classique », depuis deux siècles, dans des Etats de type démocratique. Cette université exige et devrait se voir reconnaître en principe, outre ce qu'on appelle la liberté académique, une liberté inconditionnelle de questionnement et de proposition, voire, plus encore, le droit de dire publiquement tout ce qu'exigent une recherche, un savoir et une pensée de la vérité. [...] L'université fait profession de la vérité. Elle déclare, elle promet un engagement sans limite envers la vérité.
Sans doute le statut et le devenir de la vérité, comme la valeur de vérité donnent-ils lieu à des discussions infinies
[...] Mais cela se discute justement, de façon privilégiée, dans l'Université et dans les départements qui appartiennent aux Humanités. » Ce passage provient des pages 11 et 12, le début de L'Université sans condition de Jacques Derrida [Paris : Galilée, 2001, 79 pages]

A la page 67, on lit :
« Les Humanités de demain, dans tous les départements, devraient étudier leur histoire, l'histoire des concepts qui, en les construisant, ont institué les disciplines et leur ont été coextensifs. [...]
1. Ces nouvelles Humanités traiteraient de l'histoire de l'homme, de la figure et du « propre de l'homme » [...]
2. Ces nouvelles Humanités traiteraient [...] de l'histoire de la démocratie et de l'idée de souveraineté, c'est-à-dire aussi, bien sûr, des conditions ou plutôt de l'inconditionnalité dont on suppose [...] que l'université, et en elle les Humanités, en vivent. [...]
3. Ces nouvelles Humanités traiteraient [...] de l'histoire de "professer", de la "profession et du professorat. [...]
4. Ces nouvelles Humanités traiteraient [...] de l'histoire de la littérature. Non seulement de ce qu'on appelle couramment histoire des littératures ou la littérature même, avec la grande question de ses canons (objets traditionnels et incontestés des Humanités classiques) mais l'histoire du concept de littérature, de l'institution moderne nommée littérature, de ses liens avec le droit de tout dire (ou de ne pas tout dire) qui fonde aussi bien la démocratie que l'idée de souveraineté inconditionnelle dont se réclame l'université et en elle ce qu'on appelle, dans et hors départements, les Humanités. .....

Page 78, encore : « L'université sans condition ne se situe pas nécessairement, ni exclusivement, dans l'enceinte de ce qu'on appelle aujourd'hui l'université. Elle n'est pas nécessairement, exclusivement, exemplairement représentée dans la figure du professeur. Elle a lieu, elle cherche son lieu partout où cette inconditionnalité peut s'annoncer. Partout où elle (se) donne, peut-être, à penser. Parfois au-delà même, sans doute, d'une logique et d'un lexique de la « condition ». »

La dernière phrase : « Prenez votre temps mais dépêchez-vous de le faire, car vous ne savez pas ce qui vous attend. »

II. Directement sortie de la leçon inaugurale du Collège de France d'Antoine Compagnon, La littérature, pour quoi faire ? [Paris : Collège de France / Fayard, « Leçons inaugurales du Collège de France » n° 188, 2007. 77 pages.] et prononcée le jeudi 30 novembre 2006, cette remarque qui est à n’en pas douter une réponse à une digression révélatrice d'une courbure de l'esprit d'un candidat à la présidentielle sûr de lui [dont il est question ici]

« La littérature doit être lue et étudiée parce qu'elle offre un moyen - certains diront même le seul - de préserver et de transmettre l'expérience des autres, ceux qui sont éloignés de nous dans l'espace et le temps, ou qui diffèrent de nous par les conditions de leur vie. Elle nous rend sensibles au fait que les autres sont très divers et que leurs valeurs s'écartent des nôtres. Ainsi un fonctionnaire au fait de ce qui rend sublime le dénouement de La Princesse de Clèves sera-t-il plus ouvert à l'étrangeté des mœurs de ses administrés. »

III. Pour finir, ce court passage de Giacomo Leopardi (1798-1837) dont je ne possède qu'un Choix de pensées tiré à part (2001, 40 pages) des Pensées (1845) éditées par les Editions Allia (Traduit de l'italien par Joël Gayraud, 1992) :

« La mort n'est pas un mal : elle libère l'homme de ses maux et, le privant de tous les biens, lui en enlève le désir. C'est la vieillesse qui est le mal suprême : elle ôte à l'homme toutes les jouissances, ne lui en laisse que la soif et apporte avec elle toutes les douleurs. Et pourtant, c'est la mort que l'on redoute et la vieillesse que l'on désire. » (Pensées, VI).

Je n’ose dire à bientôt.

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